♣_______Page mise à jour le 11 mars 2018 vers 23h40 TUC |
Voici un texte posté il y a quelques années parmi les commentaires d'un quotidien national. | ||||
Puisque peu l'ont lu, qui peuvent sans doute se compter sur les doigts d'une seule main, il a été repris ici ; on m'objectera que ses lectrices & lecteurs se compteront du coup sur les doigts d'une patte d'autruche - qu'importe ! s'il doit sombrer dans l'oubli le plus complet (comme le chantait Brassens, et comme ça lui pend au nez), autant que ce soit au milieu de ses cousins, plutôt que dans la cohue et l'anonymat. | ||||
Quelques modifications seulement, au passage : les allusions au quotidien (qui tentaient tant bien que mal de relier le texte au sujet dans lequel il était inséré) et à la rusticité de son éditeur ont été gommées ; et j'ai profité des merveilleux enrichissements offerts par le HTML brut pour supprimer une pléthore de guillemets. |
On connaît le refrain : | — Le pape est mort ! Un nouveau pape est appelé à régner. — Araignée ? Quel drôle de nom, pour un pape ! ___Pourquoi pas Libellule, ou bien Papillon ? |
Et, reconnaissons-le, | Le pape Libellule s'est envolé pour la Terre Sainte. |
aurait eu plus de gueule que | |
François a pris l'Airbus pour Tel Aviv. |
Mais revenons à nos moutons (moins ringard dirait : recentrons-nous sur notre cœur de métier ) ; recentrons-nous donc.
Certains se souviennent sans doute du 26 août 1978 : quelques jours après la mort de Giovanni-Battista Montini (passé à l'Histoire sous le nom de Paul VI ), le cardinal Albino Luciani est choisi pour lui succéder (eh oui ! il faut bien l'avouer à nos jeunes : le monde existait déjà en 1978, et qui plus est, les papes étaient italiens) ;
qui sibi nomen imposuit Johannis Pauli proclama le cardinal protodiacre : = qui s'est donné le nom de Jean Paul.
Parenthèse dans la parenthèse : une idée originale, que de marier le nom de ses deux prédécesseurs ; personne n'y avait songé avant lui ; dommage : Paul VI aurait pu s'appeler Pie Jean ; et Boniface VIII, Nicolas Célestin, ce qui aurait au moins permis de réconcilier le vin avec l'eau ; tant pis, l'Histoire ne repasse pas les burettes.
Tous les journaux titrèrent alors Élection de Jean Paul I er ou Jean Paul I er succède à Paul VI ; et, pendant les trente-trois jours de son pontificat (béni par plus d'un, puisque sa brièveté lui évita d'avoir à tenir des propos discourtois envers les homosexuels, les filles-mères, les divorcés-remariés, les athées, hérétiques et caricaturistes de tous bords), personne n'eut l'idée saugrenue de l'appeler Jean Paul (qui, dans tous les dictionnaires du monde, ne renvoie qu'à l'écrivain allemand post-romantique) ; à défaut d'images (protégées par leur copyright comme Schéhérazade par son moucharabié), deux liens ; je pensais initialement à renvoyer à Wikipedia, mais la simple évocation de ce nom donne des furoncles à certaines, qui se croient obligées de copier-coller mécaniquement leurs préventions méprisantes ; voici donc deux preuves au-delà de tout soupçon :
Pour la suite, remontons dans le temps (car avec les Benoît XVI, Jean XXIII, Pie XII et autres Léon XIII, on fait plus dans la continuité que dans l'innovation) : il faut aller jusqu'en 882 pour qu'un pape choisisse un nom en dehors de la liste de ses prédécesseurs, Marin en l'occurence ; mais difficile d'en retrouver quelque trace que ce soit ; allons donc jusqu'en 858 : le successeur de Benoît III prend le nom de Nicolas ; et, à la page 77 du livre d'Henri Pirenne, Histoire de l'Europe, des invasions au XVIème siècle (qui n'a rien d'un roman de gare), on peut lire :
Sous Louis II, Nicolas Ier (858-867) revendique et impose la supériorité du pouvoir pontifical sur le pouvoir impérial.
Nicolas Ier (et pas Nicolas (1) ); Jean Paul Ier (et pas Jean Paul (2)).
Dans la liste des papes (du moins celle qu'affiche Wikipedia – désolé pour le prurit – à l'exception des premiers siècles (où, de Pierre à Silvère en passant par Eleuthère et Pontien, tous ont été béatifiés et sont restés sans clone homonymique), on ne trouve que trois papes n'ayant pas de numéro :
Voilà donc ce que l'Histoire offre en fait de papes non numérotés. Alors, pourquoi François a dit... ou le pape François a fait... ? On voit bien que la raison en est essentiellement franco-française (ou franco-italienne, après Pavie, Marignan et Leonardo da Vinci) : ne pas évoquer à chaque instant la figure du premier des Valois (3) – car n'est-ce pas mettre le doigt dans un engrenage (et Formose en sait quelque chose) ? En effet, où la lignée du roi chevalier se termine-t-elle ? qui est le dernier sang de son sang ? Henri III ! mort sans descendance (la loi Taubira n'avait pas encore été votée - eh oui ! belle jeunesse, il fut un temps où...) ; il fallut donc aller chercher un vague cousin, même pas germain (mais assez beau Gascon, c'est vrai) pour garder le trône au chaud.
Vous me rétorquerez que, l'Église n'ayant connu aucun pape du nom d'Henri, il faudait auparavant un pape Henri Ier (ou juste Henri, comme pourrait dire Thierry Lhermite) puis un Henri II avant d'arriver à cette extrémité ; mais les voies de Dieu sont impénétrables, et souvenons-nous qu'il n'a pas fallu cinq semaines avant que son serviteur au doux sourire ne soit rappelé à la maison-mère. Ce qui n'empêche nullement de souhaiter longue vie à François (Ier ou tout court), comme (par avance) à chacun de ses successeurs putatifs.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Notes ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ | |||||||||||||
(1) Cette remarque a entraîné l'échange suivant :
(2) Dans les jours qui ont suivi l'élection du cardinal Luciani, les autorités vaticanes ont insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un (pré)nom composé, mais bien de deux noms accolés – donc Jean Paul, et pas Jean-Paul. Après quoi (un peu comme le chantait Guy Béart,
elles ne furent pas les dernières à ajouter un trait d'union. N'étant pas de ceux qui tournent casaque au premier bronchis (*), nous continuerons à saluer la mémoire de Jean Paul Ier, en gardant le regret de son départ subit. (*) Les puristes ne manqueront pas de faire remarquer que bronchis ne figure pas dans leur dictionnaire ; je leur en donne acte très volontiers ; mais force est de constater que lesdits dictionnaires ne proposent aucun nom d'action pour le verbe broncher (qu'il s'agisse d'un cheval ou de qui que ce soit d'autre, même moins noble) ; nécessité faisant loi, j'ai opté pour bronchis ; mais on peut préférer bronchement, bronchaison ou même bronchitude. (3) La périphrase le premier des Valois a donné lieu à un commentaire de c *** qui a rappelé que le premier des Valois était Philippe VI, puisque François Ier appartenait à une branche cadette ; qui tient à la précision historique remplacera donc dans le texte ci-dessus le premier des Valois par le premier des Valois-Orléans-Angoulême. |