♣_______Page mise à jour le 11 mars 2018 vers 02h10 TUC |
On pourra trouver successivement
Nos connaissances sur le personnage proviennent de trois sources :
[J] | Jackson lui-même (son livre, un article publié en 1844 dans le Warsaw Signal, éventuellement des lettres) ; |
[M] | les Mormons (il est question de lui notamment dans History of the Church [HoC ]) et dans certaines notes de Joseph Smith) ; |
[G] | les non Mormons (les Gentils, dans le vocabulaire mormon : History of Hancock County, de Thomas Gregg, les journaux comme le Nauvoo Expositor ou le Warsaw Message). |
En admettant comme établi ce qui est attesté de la même façon par au moins deux de ces trois sources, qu'est-ce qui peut être regardé comme sûr ?
Voilà pour les faits. Pour le personnage, la meilleure présentation paraît celle que donne de lui Thomas Gregg :
Un aventurier de bonne apparence et de belles manières, qui est apparu dans le comté à l'époque des troubles ; il est allé à Nauvoo et est devenu assez intime avec le Prophète et les dirigeants ; ensuite, il s'est retourné contre eux, est venu à Warsaw et a publié un pamphlet se présentant comme la mise au jour du Mormonisme et des projets et pratiques diaboliques de ses chefs. Ce pamphlet lançait de nombreuses et graves accusations contre Smith et ses partisans, accusations de meurtre et de complot, de fausse monnaie, de débauche, de polygamie, etc. ; il affirmait être venu parmi eux avec le seul projet de les infiltrer et alors de les mettre au jour. Ses révélations étaient très comparables à celles du Général Bennett. Comme dans le cas de ce dernier, beaucoup de ses affirmations ont été vérifiées par les circonstances, et beaucoup sont restées sans confirmation. La situation ambiguë dans laquelle il s'est placé, il est juste de le dire, a tendu à amoindrir la confiance du public dans ses affirmations, et son petit livre n'a fait que peu d'impression. Les Mormons l'ont accusé d'être un aventurier de la pire espèce, qui était venu là pour se livrer à ses activités de contrefaçon, etc., et qui s'était disputé avec le prophète et les autorités quand il avait été découvert et dénoncé.
Alors, où est le mystère ? ou, plutôt, où sont les mystères ?
Le premier et le dernier se rejoignent : si l'on peut établir des certitudes entre 1842 et 1846, il n'y a rien, aucune trace de notre homme avant son arrivée dans le comté de Hancock, aucune trace non plus après 1846. Bien sûr, on joue de malchance puisque, n'ayant jamais été mormon, il n'a pas eu droit à la sollicitude biographique dont ont pu bénéficier même des apostats comme John Bennett ou Robert Foster ; par ailleurs, à supposer qu'il n'ait pas eu de descendants, leur curiosité généalogique aura manqué pour faire revivre le cher grand aïeul ; mais il reste surprenant de constater que des gens comme Alexander Sympson, William Rollinson ou Thomas Sharp (autres opposants aux Mormons n'ayant jamais appartenu à l'Église) se retrouvent dans divers documents en dehors même de leurs démêlés avec les Saints ; pour Joseph Jackson, au contraire, c'est le grand vide.
Même Les Aventures... sont très discrètes en la matière : il dit s'être présenté à Joseph Smith comme un fugitif de la ville de Macon, en Géorgie, recherchant sa protection. Comme il mentira à Joseph Smith en d'autres occasions, cela paraîtrait un peu court pour en faire un Géorgien si on ne trouvait pas trace d'un Henry Jackson (contemporain de Joseph Smith Sr), propriétaire de plantations en Géorgie, d'une famille que le résumé généalogique dit originaire d'Athens, Macon, et autres lieux de Géorgie. Autre détail bizarre : dans la relation de cette première entrevue que donne HoC, cette origine n'est pas mentionnée, mais il est écrit seulement, à la date du 18 mai 1842 : Mr Joseph H. Jackson, qui a déclaré être un prêtre catholique, était chez moi à attendre mon arrivée. Cette qualité de prêtre catholique n'apparaît nulle part ailleurs ; confusion ? erreur de transcription ? (le texte, quoiqu'il dise at my house et my arrival, a été rédigé par le scribe de HoC, d'après le journal de Joseph Smith, tenu par un autre scribe).
Presque rien en dehors de cela : à deux reprises, il met en avant sa longue expérience sur les chemins du monde, une fois, il dit avoir exposé à Joseph Smith la nature de [ses] affaires - toujours sans plus de précisions ; seule exception : vers la fin de son séjour, il note J'avais vécu en Californie, et Joe savait que j'avais traversé la prairie.Jusqu'en 1821, la Californie avait été colonie espagnole ; de 1821 à 1846 (donc à l'époque dont peut parler Jackson), ce fut une province (pauvre) appartenant au Mexique. Encore un clin d'œil du hasard : un Joseph Henry Jackson a publié une histoire des bandits et hors-la-loi de Californie - mais c'était vers 1970...
Qui plus est, il ne semble pas y avoir de document indiquant à quoi correspond le H. de son deuxième prénom.
On n'a en fait que deux coïncidences bizarres, sur lesquelles on peut bâtir deux hypothèses (malheureusement impossibles à concilier) :
On voit immédiatement les différences entre les deux homonymes : statut familial, date de naissance (le Jackson de Will aurait eu 23-24 ans lors de son séjour à Nauvoo, ce qui paraît un peu jeune pour quelqu'un affirmant posséder une bonne dose d'expérience sur les chemins du monde ). Mais son mariage peut retenir l'attention :
Plus sérieusement, la date correspond juste au moment où le Joseph Jackson de Hancock disparaît de la circulation ; en effet, le gouverneur Ford l'avait accusé d'être l'un des responsables de l'émeute mortelle de la prison de Carthage, avec les frères Williams et Thomas Sharp ; après plusieurs jours de cache-cache, constatant que Levi Williams, Thomas C. Sharp and Joseph H. Jackson […] se sont enfuis de cet État (ses co-accusés s'étant réfugiés dans l'État du Missouri), Ford signe, le 27 septembre, une proclamation offrant une récompense pour leur capture ; quelques jours plus tard, une lettre informe Thomas Ford que les co-accusés ont accepté d'être jugés (sous conditions...) mais que Jackson n'est pas venu, et il est si vraiment malade qu'on ne pourrait rien faire de lui si on l'avait. Et seuls Levi Williams, Thomas Sharp, Mark Aldrich, Jacob Davis et William Grover seront jugés en mai 1845.
Or, dans une note à la lettre n° 3, Jennings écrit :
Plus tard, Fleak a affirmé que Boggs lui avait envoyé un émissaire personnel, dont il a par la suite oublié le nom. Après discussion, il a été décidé que l'émissaire irait à Nauvoo et se ferait passer pour un ami des Mormons. Il devint soi-disant un membre de l'Église et réussit si bien à tromper son monde qu'il devint un ami et confident du Prophète.
Un point noir : Jackson aussi bien que les Mormons s'accordent pour dire qu'il n'a jamais été membre de l'Église ; mais l'expression prêtée à Fleak purportedly n'est pas vraiment claire, et des rumeurs ont bien présenté Jackson comme s'étant converti : l'intéressé lui-même y fait allusion dans son article du Warsaw Signal comme dans Les Aventures ; et le Sangamo Journal (de Springfield, capitale de l'Illinois) écrit, dans son édition du 24 octobre 1844 :
J. H. Jackson, l'un des hommes accusés du meurtre de Joe Smith, pour [la capture] de qui le Gouverneur a offert une récompense, est un ancien mormon.
Mais la suite de l'article s'appuie uniquement sur son livre - qui dit tout autre chose. A toutes fins utiles, on peut préciser que le Sangamo était opposé au parti démocrate, donc critique envers Thomas Ford qui en était l'élu.
Pourtant le reste du propos de Fleak s'appliquerait bien à Joseph Jackson, dont le récit donne plusieurs exemples de confidences que lui aurait faites Joseph Smith (y compris sur ses problèmes de couple avec Emma), justifiant l'expression de trusted friend employée par L. Fleak ; du côté mormon, les choses vont moins loin, et trusted peut paraître excessif mais, en mai 1843, Joseph Smith qualifie Jackson de fine and noble fellow (un compagnon agréable et distingué) et, jusqu'au début de 1844, Jackson l'accompagne à diverses reprises dans des promenades à cheval.
Pour rester avec Laban Fleak, un passage d'une autre de ses lettres est intéressant ; le 5 octobre 1842, il écrit au gouverneur Reynolds :
un de ces trois hommes (*)est maintenant à Nauvoo et a passé deux jours ici (**) ; depuis, je n'ai pas eu de nouvelles de lui mais je suis sûr qu'il est en train de découvrir tout ce qui peut l'être sans éveiller de soupçon.
Or (c'est l'une des seules dates précises qu'il donne dans son livre), Joseph Jackson écrit être arrivé à Nauvoo pour la première fois le 10 octobre 1842 (par bateau).
Il n'y a certes aucune preuve que Joseph Jackson soit la taupe dont parle Fleak ; pourtant, sans tout expliquer, cela rendrait plusieurs choses moins surprenantes :
La réponse même de Jackson est banale ; mais pourquoi ajouter en commentaire c'était la réalité ? Puisque Jackson affirme n'avoir jamais eu l'intention de tuer L. Boggs, qu'importe la présence ou l'absence de l'ancien gouverneur ? Mais supposons que Jackson ait eu pour projet de rencontrer Boggs pour lui rendre compte de sa mission et que, ne le trouvant pas à Independence, il ait décidé de patienter pendant quelques jours, alors s'expliquerait et l'importance que Jackson attache à l'absence Boggs et le temps qu'il a passé à Independence – officiellement pour rien.
D'autant plus que l'expression prêtée à Fleak (un émissaire personnel, dont il a par la suite oublié le nom ) peut laisser perplexe : comment peut-il avoir oublié le nom d'un personnage qui devait jouer un rôle important et avec lequel il a lui-même discuté de l'affaire ? Quand Jackson ne se souvient plus du nom exact de la sœur de Joseph Smith, il l'appelle Milligan au lieu de Milliken ; quand il se souvient mal du nom du général Doniphan, il l'appelle Donethan ; tout plutôt que laisser quelqu'un dans l'anonymat...
La première réponse est aussi naturelle qu'innocente : Avant de me rendre à Nauvoo, j'avais beaucoup entendu parler de cette fameuse ville et de ses habitants. Les contradictions entre les différents comptes-rendus étaient telles qu'il semblait difficile de me forger un avis solide sur le Prophète et ses disciples. Ainsi veut-il voir de ses propres yeux pour se forger une opinion. Ce qu'il confirme un peu plus tard : je décidai de découvrir si Joe Smith était vraiment un être aussi mauvais qu'on le disait.
Mais, juste après, il ajoute : Je fis donc savoir à Harmon T. Wilson, shériff adjoint, que j'avais l'intention […] si je trouvais qu'il [Joseph Smith] était aussi vil qu'on le dit et que je le supposais, de tout révéler au monde. C'est aussi ce qu'il dit vouloir faire en publiant son livre ; mais, s'il est sincère, Jackson est alors singulièrement naïf : les crimes mormons, John Bennett les avait déjà dénoncés dans des articles du Sangamo Journal et venait de publier History of the Saints, avec une connaissance des lieux et des hommes inégalable puisqu'il avait été maire de Nauvoo (avec Joseph Smith comme premier adjoint) et vice-président de l'Église mormone (Counselor in the First Presidency, avec Joseph Smith comme Prophète-Président) ; et si ce dernier était toujours en liberté, ce n'était pas par manque de témoignages ou de preuves (il faisait déjà l'objet d'au moins trois mandats d'arrêt) ; comme le dit Fleak dans ses lettres, ce sont ses gardes du corps (plus quelques juges amis ) qui empêchent son arrestation ou sa mise en détention.
Cacophonie supplémentaire, le même Harmon Wilson déclare sous serment (c'est Jackson lui-même qui cite l'affidavit) : Jackson proposa alors d'aller à Nauvoo et de gagner, si possible, la confiance de Smith pour pouvoir dévoiler ses crimes et coopérer avec l'agent du Missouri et moi-même pour arrêter Joe et le présenter à la Justice (c'est moi qui ai souligné) – on peut constater qu'un pas de plus est franchi, si on en croit Wilson.
Pourtant, difficile de prendre cette mission au sérieux quand on apprend que, quelques mois plus tard, Wilson, passant à Nauvoo, entendit les rumeurs qui circulaient mentionnant que j'avais réellement rejoint les Mormons – ce qui diminua singulièrement sa confiance en moi, si bien qu'il ne vint pas me voir comme il l'avait promis. Ainsi, Joseph Jackson (qui se présente et est présenté par Wilson un peu comme son homme à Nauvoo ) ne cherche même pas à rencontrer le policier quand celui-ci vient dans sa ville ? Pour tout dire, pourquoi Wilson et Reynolds (son homologue d'Independence qui l'accompagnait) auraient-il cherché à le renconter puisqu'ils avaient déjà un mandat d'amener contre Joseph Smith, et que tout leur problème consistait à mettre en état d'arrestation ledit Joseph Smith ?
Et notre taupe, dans tout cela ? Si Joseph Jackson est venu à Nauvoo pour enlever le Prophète, on comprendrait
Leur comparaison débouche sinon sur des mystères, du moins sur deux constations inattendues :
d} les contradictions entre l'article du Warsaw Signal et le récit des Aventures ; mais d'abord un point de chronologie :
- la lettre publiée dans le Warsaw Signal est datée du 1er juin 1844 ;
- et le livre ? dans son introduction, l'auteur écrit : La préparation de cet ouvrage était commencée avant les dernières difficultés chez les Mormons ayant abouti à la mort des deux principaux témoins de ces faits.
Or les dernières difficultés en question ont commencé en fait le 7 juin avec la parution du Nauvoo Expositor et se sont terminées (si l'on peut dire) vingt jours plus tard avec la mort de Joseph et Hyrum Smith ; autrement dit, la préparation du livre a commencé à peu quand l'article a été publié, ou même avant ; mais la rédaction ? plusieurs passages sont postérieurs à la fin de juin (dont celui qui est cité ici) ; les affidavits, eux, sont tous du 13 ou 14 août (ce qui ne concourt pas à leur crédibilité) ; quant à la publication, le Sangamo du 24 octobre 1844 (toujours lui) mentionne qu'elle date d'il y a quelques semaines, autrement dit fin septembre-début octobre ; il ne peut donc pas y avoir plus de trois ou quatre mois entre la lettre et tel ou tel passage du livre.
Bien sûr, pendant ce court laps de temps, la situation a totalement changé : Jackson est devenu l'une des figures du parti anti-mormon, le gouverneur Ford est venu à Carthage, les deux frères Smith ont été tués, le même Ford a essayé de faire juger ceux qu'il considère comme les responsables moraux de l'émeute – dont Joseph Jackson. On comprend donc aisément que l'article insiste sur l'affirmation de Jackson qu'il n'a jamais été mormon, alors que le livre n'en parle pas (à l'exception des affidavits cités en annexe).
Mais d'autres divergences sont plus surprenantes :
Si elles ne changent rien à l'affaire (puisque, dans tous les cas, ces missions ont été des fiascos), ces discordances ont de quoi surprendre.
Et puis, Jackson se retrouve pris entre deux feux : ou bien ses révélations doublent celles des apostats - et elles n'ont alors qu'un intérêt limité, ou bien il est le seul à accuser – et c'est parole contre parole, car (contrairement à ses affirmations) son livre n'apporte aucune preuve de ce qu'il avance (voir la note consacrée aux affidavits à la fin de l'Introduction des Aventures ), avec une chronologie floue et des noms parfois estropiés.
Bien sûr, Jackson peut écrire avoir voulu, par son livre,
Éviter à d'autres d'aller se perdre dans cette bande de quasi-démons […]
Mais les deux principaux quasi-démons (le Prophète et le Patriarche ) sont morts quand paraît la première édition, et c'est Brigham Young (totalement absent du livre) qui est le nouveau Président, Prophète, Voyant et Révélateur, lors de la deuxième édition. Alors, un livre pour rien ? Peut-être, tout simplement, un livre pour son auteur ; si le passage de Joseph H. Jackson dans le comté de Hancock n'a eu aucun effet tangible (son implication dans la mort de Joseph et Hyrum Smith reste conjecturale, quelle qu'ait pu être son hostilité à leur égard), son livre lui permet de survivre dans l'Histoire sinon par ses actes, du moins par ses mots.