♣_______Page mise à jour le 11 mars 2018 vers 02h50 TUC |
Comme pour la page consacrée aux ambigrammes, il ne s'agit ici ni de présenter ni de révolutionner le sujet, mais seulement d'en commenter certains aspects, sans prétention d'exhaustivité ou de renouveau.
NB- par commodité, le manuscrit Voynich sera désigné ci-dessous par l'abréviation MsV.C'est d'ailleurs l'occasion d'en mentionner une première particularité (1) : ni son titre, ni son auteur, ni ses lieu et date de création n'étant connus (2), il porte le nom de celui qui le détenait et l'a rendu public en 1915 (voir plus bas).
Pour qui voudrait (presque) tout savoir sur ce manuscrit, deux pistes, avant de passer à la section B et aux suivantes :
Pour les autres, deux ou trois choses que l'on peut dire…
du manuscrit :Alors…
Alors, si vous souhaitez vous aussi avoir votre quart d'heure de sonnaille dans le petit monde voynichéen, voici quelques idées et quelques exemples dont vous pourrez vous inspirer, le cas échéant ; heureuse circonstance, deux voies s'offrent à vous : celle de l'aigle et celle de la fourmi.
Au cas où la méthode précédente vous paraîtrait un tantinet cavalière, vous pouvez recourir à quelque variante fournissant à chaque étape un éventail confortable de traductions (parmi lesquelles chacun peut trouver son bonheur) ; par exemple, expliquez que le texte est tout simplement du français encodé mais que
Fixez ce décodage (le tableau se limite aux lettres apparaissant dans l'exemple qui suivra) a a a | MsV | a ch d i k l o y | ||
[eva] | a ch d i k l o y | |||
Votre transcription | g qu m f t l b n r v nn |
Ainsi pouvez-vous affirmer que, dans cet extrait de f68v3.S.7 (l'une des rosaces)
NB- 1) Manuscrit / 2) [eva] / 3) Votre transcription ( ° = aucune, une ou plusieurs voyelle[s]) / 4) Votre traduction
1) | y | d | a | i | i | l | o | l | ch | o | k | o | k | ch | y | d | |||||||||||||||||
2) | y | d | a | i | i | l | o | l | ch | o | k | o | k | ch | y | d | |||||||||||||||||
3) | ° | n | ° | m | ° | g | ° | f | ° | f | ° | l | ° | b | ° | l | ° | qu | ° | b | ° | t | ° | b | ° | t | ° | qu | ° | n | ° | m | ° |
nn | r | v | r | v | v | nn | |||||||||||||||||||||||||||
4) | u | n | e i | m | a | g | e a | f | f | o | l | e A | b | e | l | qu | i | b | ou | t | e | b | ou | t | i | qu | e e | nn | e | m | ie |
Sans doute quelque esprit chagrin cherchera-t-il à savoir sur quoi vous vous fondez pour supposer que a encode g ou bien pourquoi y vaut tantôt n tantôt nn alors que i vaut seulement f et pas ff ; prenez alors un air compatissant et répondez seulement : « Demande-t-on à la mère Poulard comment elle a trouvé la recette de son omelette ? »
Mais si les critiques perdurent contre votre Abel affolé, montrez votre ouverture d'esprit en proclamant que, tout bien réfléchi, il faut interpréter la ligne 3) comme un mage offre à boire ; qui évite viatique n'a mie – pas vraiment meilleur, mais moins exposé à la polémique.
Je vous suggère le coin inférieur gauche de f82v (cliquer sur ce lien [⇒] pour l'afficher dans le site de Jason Davies). On peut y voir deux nymphes (c'est le terme consacré) et une série d'étiquettes. Avant de vous consacrer à ces dernières, rappelez-vous cette allégorie de Madrid [⇒] par Goya, ou celle de Paris [⇒] par Louise Abbéma : quoi de plus naturel que de représenter une ville sous les traits d'une femme ? Maintenant, regardez la figure de nos deux nymphes : pommettes rougies par le soleil, cheveux blondis par le sel marin ; or que disent les deux étiquettes les plus proches ?
pour la nymphe de gauche, okain ([eva] okain) et pour l'autre, olkol ([eva] olkol) ; la structure de cette dernière est remarquable : une syllabe répétée, avec une autre lettre entre les deux occurrences, comme 12312 ; une ville au soleil, près de la mer… olkol ne peut être que Miami – ce qui vous donne le décodage de trois lettres a a a |
|
Pour l'autre nymphe, il suffit de regarder une carte de la Floride : de l'autre côté de la péninsule, à l'ouest-nord-ouest de Miami, nous trouvons Marco Isl. a a a |
De la même façon, l'autre nymphe et son étiquette sont à gauche et légèrement au-dessus des précédentes. Ainsi okain correspond-il clairement à Marco, ce qui permet de compléter notre tableau a a a |
|
D'où votre tableau de concordance a a a |
|
Simple curiosité : dora (dont l'homonyme se trouve à quelques kilomètres au nord-ouest de Miami) est la transcription en [eva] de dora – qui figure en deux endroits du manuscrit.
Maintenant, si la modernité de Miami et de la Floride vous gêne, rien ne vous empêche de chercher du côté de l'étrusque, qui offre plusieurs avantages :
Pour ne pas alourdir cette page, limitons-nous à un exemple :
les Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, N° 4 de l'année 1971 contiennent une communication de Vladimir Georgiev intitulée État actuel du déchiffrement de la langue étrusque ; on peut y lire, à la page 642, le mot Pumpu – qui correspond parfaitement à olkol ; et qu'il s'agisse d'un prénom masculin ne fait qu'accroître l'intérêt de cette rencontre prometteuse.
Vous pouvez même appuyer votre travail linguistique sur une étude (hautement) historique, un article publié il y a une vingtaine d'années où Dennis Stallings relate comment des Étrusques, abandonnant leur région natale pour échapper à l'empire de Rome, se réfugièrent dans une vallée reculée des Alpes et y fondèrent Etruria Nova ; quand, vers le XVème siècle, la fin de la cité parut inéluctable, un savant et une savante décidèrent de sauver l'essentiel de la culture novétrusque dans Le Testament des Six Patriarches et des Six Matriarches d'Etruria Nova – dont MsV est la seule partie qui soit parvenue jusqu'à nous.
Et si, au bout du compte, le résultat de vos recherches vous semble malgré tout maigrelet, n'hésitez pas à botter en touche, avec quelque chose comme
Plutôt qu'une grande théorie, j'ai choisi une approche au ras des pâquerettes qui aura permis de fixer la nature de huit lettres, à travers la découverte de quatre mots. Pour sûr, le chemin est encore long et ce manuscrit reste, aujourd'hui, l'un des plus mystérieux du monde.
Mais j'ai le sentiment et la fierté d'avoir semé une petite graine – que, demain, d'autres feront germer et que tous pourront voir s'épanouir.
En bref, la même chose que dans le tout premier exemple mais en y ajoutant la pommade d'une métaphore.
La lecture des discussions suscitées par MsV fait parfois penser à ces jeux d'Interville mettant aux prises deux adversaires debout sur des sortes de coussins pneumatiques flottant dans un bassin : l'instabilité du point d'appui rend hasardeux les meilleurs coups. Il en va un peu de même dans les débats sur MsV : si précis et convaincants que puissent être les arguments, les incertitudes de fond en limitent plus ou moins grandement la portée. Ce qui suit ne prétend évidemment pas créer une assise plus solide que les autres mais espère seulement fixer quelques points, pour savoir de quoi on parle.
Dans un article [⇒] du forum VoynichNinja, on peut trouver une liste intéressante de ce que peut être le texte du manuscrit ; le tableau Ⓐ ci-dessous s'en inspire, en y ajoutant quelques exemples (simples parallèles) ou précisions :
Langage naturel
Langue artificielle
| Message crypté
| Texte non signifiant
|
Encryptage non réversible
| ||
par ailleurs, | ||
Rapport entre le texte ___et les dessins a a a |
|
Si, au-delà du texte, on en revient au manuscrit dans son ensemble, on peut envisager le tableau Ⓑ :
un faux
| un leurre
| un document authentique à caractère
|
Comme on peut le constater, les possibilités sont nombreuses, d'autant plus que certaines s'entrecroisent ; il faudrait donc rétrécir le champ d'investigation en éliminant les hypothèses jugées impossibles ou par trop improbables.
Pour disposer de quelques points de repère, partons de la thèse d'Antoine Casanova (Paris, 1999) Méthodes d'analyse du langage crypté : une contribution à l'étude du manuscrit de Voynich, où l'auteur fait un parallèle entre MsV et deux autres textes qui ont dû être déchiffrés : le télégramme Panizzardi (texte crypté envoyé à son gouvernement par cet agent de l'ambassade d'Italie en France, et intercepté par le service d'espionnage français, peu après la mise en accusation du capitaine Dreyfus) et le cunéiforme babylonien (tablettes gravées) ; nous y ajouterons les inscriptions étrusques et les hiéroglyphes égyptiens ; on peut alors se poser à propos de chacun quelques questions pour essayer d'éliminer certaines hypothèses des tableaux précédents. L'ensemble est rassemblé ci-dessous dans le tableau Ⓒ :
Télégramme | Babylonien | Étrusque | Hiéroglyphes | MsV | |
Le texte a-t-il un sens ? | oui | oui | oui | oui | discuté |
Peut-il s'agir d'un faux ou d'un leurre ? | non | non | non | non | discuté |
Sait-on dans quelle langue il est rédigé ? | italien | babylonien | étrusque | égyptien | discuté |
Le texte est-il chiffré ? | oui | non | non | non | discuté |
Connaît-on son contenu ? | courrier diplomatique | recensement | dédicaces | religion | cf. fin tableau Ⓑ |
Peut-on y chercher _____une expression précise ? | Dreyfus | X, fils de Y, roi des rois | prénoms, noms de lieux | Cléopatre | rien de concluant |
A-t-il été déchiffré ? | oui | oui | partiellement | oui | non |
Bien évidemment, ce tableau est réducteur : Panizzardi aurait pu se méfier des services français et envoyer un télégramme-bidon ou bien le rédiger en polonais ou encore y appeler le capitaine Dreyfus Alfred ; mais le degré de certitude des hypothèses (texte signifiant, en italien, contenant le nom Dreyfus ) pouvait être jugé comme raisonnable ; s'agissant des inscriptions étrusques ou des tablettes babyloniennes, on peut être raisonnablement certain que ce sont des documents authentiques, dont le texte n'est pas crypté et n'est pas dépourvu de sens (8). Qu'en est-il de MsV ? L'accumulation des incertitudes traduit bien le problème. Prenons le cas de l'interrogation faux ou authentique ?
En théorie (et on aura l'occasion de le rappeller un peu plus loin), les couples texte vain ≠ texte pensé (cf. tableau Ⓐ)
et manuscrit faux ≠ manuscrit authentique (cf. tableau Ⓑ) sont des éléments distincts offrant quatre possibilités :
faux & vain___authentique & vain___faux & pensé___authentique & pensé.
Mais, en pratique, on ne trouve guère que deux groupes_____________________(tableaux Ⓓ )
les incrédules | les croyantes | |
pour qui MsV est un document… | … faux dont le texte est dépourvu de sens | … authentique dont le texte, une fois déchiffré, aura un sens. |
L'aporie naît quand chacune des deux chapelles pourrait prouver raisonnablement une moitié de son dogme mais n'y est pas parvenue en pratique, alors que l'autre moitié de ce dogme reste affaire de vraisemblance ou de probabilité.
d d nature du manuscrit d d | ce qui peut être prouvé | ce qui est seulement vraisemblable | |
document (9) | faux | support / encre / contenu anachroniques | |
authentique | support / encre / contenu plausibles | ||
texte (10) | vain (dépourvu de sens) | texte fabriqué présentant des caractéristiques semblables à MsV | |
pensé (ayant un sens, même caché) | déchiffrement et/ou traduction |
Ainsi, il est impossible de trancher avec une certitude raisonnable entre faux et authentique ou texte vain et texte pensé. En fait, de toutes les possibilités recensées dans les tableaux Ⓐ et Ⓑ, une seule peut être raisonnablement exclue : celle qui, dans le tableau Ⓐ, est appelée bouillie ; c'est ce qu'on obtiendrait en tirant au sort, l'un après l'autre, les quelque deux cent mille caractères qui composent le texte du manuscrit. Or les graphiques ci-dessous, représentant la fréquence des lettres dans divers corpus, montrent bien que MsV se rapproche plus des langues naturelles (ici français, latin ou hébreu) que de ce qu'on trouve dans un texte totalement aléatoire (ici, un des ouvrages de la Bibliothèque de Babel, censée contenir tous les textes possibles à partir d'un sous-ensemble de vingt-deux lettres de l'alphabet latin) :
Texte aléatoire | MsV | français | latin | hébreu |
Pour tout dire, les incertitudes commencent avec l'établissement même du texte, dont le résultat se manifeste dans les divers systèmes de transcription.
Légende : FSG = First Study Group (Friedman) || D'I = Mary D'Imperio || Ben = Bennett || Cur = CurrierIl est clair que, dans le tableau ci-contre, les différences de transcription sont purement formelles ; si on étudie la fréquence des lettres, on aura la même courbe pour 8 chez Currier que pour d en Eva. | MsV | FSG | D'I | Ben | Cur | Cls | J.G | Eva |
d | 8 | K | S | 8 | 8 | 8 | d |
Mais tout n'est pas aussi simple, comme le montre ce qui suit :
La moitié des transcriptions y voit un caractère unique, l'autre, une séquence de deux caractères (pas toujours analysés de la même façon : Jacques Guy y voit un (banal) e suivi de h, Claston un c suivi de e, là où Eva distingue deux lettres spécifiques c et h ) | MsV | FSG | D'I | Ben | Cur | Cls | J.G | Eva |
ch | T | B | CT | 1 | Ec | ct | ch |
Ils se distinguent d'abord par leur forme : la plupart des autres lettres sont à base de courbes ou de traits obliques plus courts ; la seconde particularité de f et p est d'apparaître le plus souvent dans la première ligne des paragraphes. | MsV | FSG | D'I | Ben | Cur | Cls | J.G | Eva |
f | F | Z | F | V | f | lj | f |
la possibilité pour les mâts de se combiner avec ch pour donner quatre formes cFh cKh cPh cTh (benched gallows ) ; et là, le principe même de leur transcription varie notablement a a a | MsV | FSG | D'I | Ben | Cur | Cls | J.G | Eva |
cFh | FZ | T | CFT | Y | F | cljt | cFh |
On va donc d'un caractère unique (pour Mary D'Imperio, Currier ou Claston) à quatre (pour Jacques Guy), en passant par deux pour le FSG et trois pour Bennet et Eva. Il n'est pas difficile de comprendre que les statistiques portant sur la longueur des mots ou la répétition de motifs peuvent varier, selon qu'on transcrit pchocThy par BSOQ9 (comme Currier, cinq lettres) ou par ljctcqpt9 (comme Guy, neuf lettres).
En guise de conclusion, comment résister à cet extrait du feuillet 8r____ a a a |
NB- placer le curseur de la souris sur une image ci-dessus pour l'agrandir. On pourra bien sûr objecter que la comparaison n'est pas vraiment raisonnable, puisque le manuscrit de Zola n'a pas été écrit pour être lu par vous et moi (qui, au demeurant, connaissons au moins un peu le français) mais par un ouvrier typographe dont le métier était justement (entre autres choses) de déterminer ce qui est u et ce qui est n , par exemple dans cet extrait a a a |
Et pourtant, si tout ce qui précède à propos des mâts peut donner l'impression d'un certain flou, ce n'est que le premier cercle. Car, dans certaines interprétations, ces glyphes ne sont tout simplement pas des lettres mais des marqueurs, indiquant par exemple le type de chiffrement utilisé pour le paragraphe ou servant à isoler une suite de lettres ayant un sens particulier (ou une fonction particulière), un peu à la façon de nos guillemets ou de nos parenthèses.
Tout cela dans les hypothèse où le texte est un texte ; mais l'éventail s'ouvre encore dans celles où le texte est l'encodage d'une partition musicale ou de cartes géographiques dissimulées.
Force est de constater que beaucoup d'éléments se liguent pour renvoyer aux calendes grecques le jour où une telle affirmation pourrait être publiée – dans un ouvrage sérieux, s'entend (pour les autres, on n'a que l'embarras du choix). Les incertitudes que nous avons rencontrées plus haut y sont pour beaucoup, mais elles ne sont pas seules en cause : il peut aussi y avoir des raisons plus rédhibitoires, et on risque de ne jamais avoir le mot de la fin si…
q si l'auteur n'a pas mis de sens dans son texte.
C'est ce que l'on peut appeler, en anglais, la théorie du meaningless. Comme on peut s'y attendre, elle est violemment combattue par toutes celles et tous ceux qui, depuis William Romaine Newbold, ont entrepris d'en découvrir et révéler la teneur. On peut regrouper leurs arguments en deux catégories :
Les réponses ne sont pas trop difficiles à trouver (Rich SantaColoma les a développées sur son site [⇒]) :
Peu importe ici que l'histoire de Rodolphe soit réelle ou qu'il s'agisse d'un autre manuscrit (peut-être de John Dee) ; peu importe que MsV n'ait finalement été vendu qu'après la mort de Voynich (et pour nettement moins que les cent mille dollars évoqués) ; on peut néanmoins en retenir le montant élevé que certains étaient prêts à payer pour un manuscrit de ce genre – comme l'indiquent certaines factures laissées par Rodolphe ou l'estimation d'un professionnel tel que Voynich ; alors, produire deux cents pages (12) de complete nonsense demande sans doute du temps (13) et une certaine dose d'abnégation ; mais, question pour question, faut-il être le diable pour passer deux mois à faire des petits ronds et des petits traits dépourvus de sens, quand on a la perspective d'empocher plusieurs dizaines de milliers d'euros ?
À l'issue de cette confrontation, il devrait rester possible pour chacune
| sans se voir reprocher de courir après une chimère, |
| sans être accusée d'allier la stupidité à la malhonnêteté. |
Dans ces conditions, impossible d'exclure ce scénario catastrophe : vers 1430, un scribe a écrit (crise de glossolalie ? influence de quelque décoction ? simple jeu oulipien [avant la lettre] ?)
un texte commençant par aaa | fachys ykal ar ataiin shol shory cthres y kor sholdy |
ou tout aussi bien (en changeant simplement l'affectation des lettres) | bogluc umor on oiossa cler clenu gilnyc u men clerpu |
ou encore (si l'auteur utilisait l'alphabet grec) | δηγξυω υτηρ ην ηιησσα ωξερ ωξενυ γιξνυω υ τεν ωξερπυ |
—————————————————————————————————————————————————————————————— | |
avant de le transcrire dans son alphabet personnel sous la forme | fachys ykal ar ataiin shol shory cThres y kor sholdy |
Scénario effectivement catastrophique, car personne n'y trouverait son compte : ni les croyantes (c'est évident, voir les arguments Ⓐ et Ⓑ ci-dessus), ni même les incrédules, puisque rien ne viendrait expliquer comment le texte a été généré tel que nous le voyons – alors que seule la réponse à cette question permettrait d'établir que le texte est dépourvu de sens (toute preuve étant par nature impossible, comme l'indique la troisième partie de la note (10)).
Mais on risque également de ne jamais avoir le mot de la fin si…
w si le sens du texte est impossible à retrouver.
Plusieurs situations peuvent conduire à ce cas de figure.
On peut raisonnablement penser que, depuis un siècle (et notamment durant les dernières décennies avec Internet), toutes les éventualités ont été examinées, soit par des amateurs essayant de trouver dans le texte une langue donnée, soit par des spécialistes cherchant quelle langue présente les mêmes caractéristiques que MsV ; même s'il s'agissait d'un dialecte rare ou ancien, on aurait certainement trouvé assez d'éléments familiers pour remonter la piste ; reste donc le cas d'une langue isolée (comme le basque ou le hongrois) dont l'auteur aurait été le dernier scripteur – hypothèse assez peu vraisemblable en Europe, du XVème au XXème siècle.
Maintenant, supposons un instant que quelqu'un, balayant tous les obstacles évoqués précédemment, parvienne à élaborer une théorie qui (c'est le postulat) se trouve être la bonne, la vraie ; nous aurions alors le mot de la fin – sauf si…
e si aucune des solutions proposées (y compris la vraie ) n'est jugée plausibleIl faut dire que, depuis un siècle (et Newbold déchiffrant des morceaux du manuscrit à grand renfort d'anagrammes, pour pouvoir l'attribuer à Roger Bacon), les théories se sont succédé, enchevêtrées et contredites, rendant voynicheras et voynicheros circonspectes – pour ne pas dire méfiantes. Ce sentiment s'exprime dans les deux conditions posées par Richard SantaColoma pour qu'une solution puisse avoir une chance d'être prise en compte :
1) Repeatability: You find a way to describe the underlying system of encoding/enciphering, so that anyone who you give that system to can use it, to come up with the same results you have.
2) Meaning: The above must produce meaningful text.
La première condition reprend le principe de validation d'une hypothèse ou d'une expérience, dans quelque domaine et quelque circonstance que ce soit ; s'agissant de MsV (et en dehors du scénario catastrophe évoqué un peu plus haut), que le texte ait un sens ou qu'il ne soit que du remplissage, que ce soit pour encrypter ou seulement meubler ses deux cents et quelques pages (même aérées), l'auteur a dû employer une méthode faisant appel à une certaine logique ; le déchiffrement (au sens le plus large) suppose précisément de retrouver cette logique.
Mais on peut s'interroger sur les effets de la deuxième condition. Imaginons une fois encore… imaginons que le texte une fois déchiffré (donc le vrai , par postulat) soit quelque chose comme le part soluz mary sera mittré retour conflict passera sur le thuille par cinq cens un trahyr sera tiltré narbon & saulce par coutaux avons d'huille.
Qui (même francophone de naissance) verrait là un exemple de meaningful text ? Et pourtant ces phrases ne sont pas considérés d'ordinaire comme meaningless puisqu'il s'agit d'un extrait des Prophéties de Michel de Notredame (trente-quatrième quatrain de la IXème Centurie, daté du milieu du XVIème siècle ; seules modifications apportées au texte original : les majuscules, la ponctuation et la disposition en quatre vers ont été supprimées). Texte hermétique donc, comme toutes les Prophéties ; or il semble difficile d'exclure que l'auteur de MsV ait donné lui aussi dans l'hermétisme.
Pour gagner un peu de souplesse, on pourrait proposer une formule du genre de celle-ci (baptisée formule de Vinchoy en pensant au goût de W. R. Newbold pour les anagrammes) : I = S x U x E x C______(toutes les valeurs vont de 0 à 1)
où I représente l'Intérêt de la théorie proposée, considéré comme la résultante de… __________tableau Ⓔ
S = Simplicité | U = Univalence | E = Empan | C = Clarté | ||||
1 0,9 à 0,1 | à chaque glyphe correspond une lettre (ou un ensemble défini de lettres) de l'alphabet transcrit variantes (par ex. r = o en début de mot, = e à l'intérieur, = z à la fin = a isolé) | 1 0,8 0,3 0,1 | les règles ne laissent aucun choix d correspond soit à d soit à t r correspond soit à o soit à e, soit à z olaiin se transcrit otlaas qu'il faut lire salato(*) (sarriette, en italien) | 1 0,8 0,5 0,3 0,2 0,1 | totalité du texte (de f°1 à f°116) une section (herbier, astronomie, recettes) une page un paragraphe une phrase un mot | 1 0,7 0,5 0,4 0,2 0,1 | texte clair (boire deux gouttes d'élixir ) texte obscur (le lion divise le jardin mal lu ) mots sans suite… (lion lu jardin mal divise ) … de diverses langues (aries balneo onar get ) bouillie (aioek blalnoe nnar tge ) |
(*) Deux observations à propos de cet exemple (purement imaginaire, comme les autres) : • olaiinaaotlaas n'est pas critiquable ; c'est otlaasaasalato qui introduit un choix arbitraire ; • le cas serait nettement différent si l'ordre des lettres dans l'anagramme faisait l'objet d'une règle (tous les mots de six lettres suivent le modèle 123456 aa 653421) ; la simplicité se trouverait réduite, mais l'univalence serait préservée. |
===================== Mise à jour du 10 septembre 2017 ======================= L'occasion était trop belle pour la laisser filer : dans son édition du 5 septembre, The Times Literary supplement a publié un article de Nicholas Gibbs intitulé (en toute simplicité) Voynich manuscript: the solution. Pour ce qui est du texte, cette solution est exposée en ces termes : Et cet exposé est accompagné d'un exemple de quelques lignes photocopiées dont (paradoxalement) le texte voynichéen est beaucoup plus lisible que la transcription et la traduction. Il semble donc qu'il faille lire, pour le premier des deux exemples (il s'agit de la ligne 1 de f2v) :
NB1- La coloration a été ajoutée pour rendre les correspondances plus nettes. NB2- Dans la « Traduction », le signe _ sépare les différents mots latins à l'intérieur d'un même mot voynichéen. Second exemple (ligne suivante dans le manuscrit) :
Qu'en dit la formule de Vinchoy ? À première vue, les choses ne se présentent pas mal : une lettre a un mot, voilà qui est simple (S = 1) et sans équivoque (U = 1). Mais il n'est pas besoin d'être professeur de faculté pour douter que les deux cents pages du manuscrit soient écrites à partir d'un dictionnaire de trente à quarante mots au grand maximum. Évaluation simple : les deux lignes transcrites par N. Gibbs utilisent seize caractères différents – la moitié du vocabulaire qui serait disponible pour l'ensemble du texte ! Bien sûr, on peut jouer sur (avec ?) les abréviations :
Il faut donc choisir : ou bien la solution retenue reste simple (S = 1), mais c'est au prix d'une ambiguïté récurrente des abréviations (U = 0,4), ou bien on explique que « r vaut ris aradicis sauf après un i où il vaut ½ » – et on se retrouve avec une usine à gaz où U = 1 mais S = 0,3 à 0,6. Encore faudrait-il bâtir le système correspondant. Pour ce qui est de l'empan, c'est beaucoup plus rapide : 0,3 (en comptant large). Reste la clarté. Si tous les mots sont latins (OZ ?) IN DE AQUA ET DE RADICIS DE AROMATICUS se trouve entre le texte obscur et les mots sans suite . Ici encore, arrondissons par excès : 0,5. Au total I = 1 * 0,4 * 0,3 * 0,5 = 0,06 . La route est encore longue. ============================================================================== |
Il reste un dernier aspect à mentionner : résoudre le mystère du manuscrit Voynich ne ferait (ou ne fera) pas que des heureux ; bien sûr, pour qui suit l'affaire de loin ou n'aurait même jamais entendu parler de MsV auparavant, cette avancée de l'Histoire ne pourrait qu'être bienvenue ; mais parmi toutes celles et tous ceux qui s'y seront cassé les dents, combien auraient du mal à faire leur deuil de leur entreprise ? En d'autres termes, si tout le monde est prêt à dire : « Vivement que ce mystère soit éclairci ! », combien ajoutent in petto « surtout si c'est par moi… » et combien même « à condition que ce soit par moi… » ?
Et jusqu'à la Beinecke Library… Certes, l'université de Yale et sa bibliothèque existaient avant le don de Kraus, et continueront d'exister si le manuscrit est un jour déchiffré ; mais il représente une bonne part des téléchargements de manuscrits sur le site de la Beinecke, et il lui est un peu ce qu'est le cratère de Vix au musée du Pays Châtillonnais. Mais une fois le mystère dissipé, Ms408 deviendrait un manuscrit parmi les autres, et ce qu'il perdrait en mystère ne serait compensé ni (probablement) par son contenu ni (à coup sûr) par sa qualité.
Bien qu'il y ait des provisoires qui durent (comme la Tour Eiffel) et malgré tous les obstacles évoqués précédemment, il se peut qu'un jour, une élucidation complète et convaincante finisse par s'imposer. On regardera alors celles et ceux qui avaient misé sur le mauvais cheval (en affirmant que le texte était dépourvu de sens ou bien, au contraire, en cherchant à reconstituer une grammaire du voynichéen et à élaborer des clés de déchiffrement) avec la même commisération ironique dont nous gratifions nos ancêtres qui croyaient que des souris pouvaient naître d'un tas de vieux chiffons humides ou que la Terre était plate. Alors, comme beaucoup d'autres, cette page n'aura plus de raison d'être, sinon comme témoignage d'une sorte de pré-histoire, touche de nostalgie d'un monde aboli.
Mais, en attendant, que la Quête continue !
MsV suit ce principe mais avec quelques particularités :
Comme le fichier .pdf de la Beinecke ne tient compte ni des uns ni des autres, la correspondance précise entre numéro de feuillet et page de l'archive n'est pas toujours évidente.
Liaison incertaine donc, mais pas vraiment plus que le reste.
En face, les croyants ont bien essayé de prouver que le document était authentique
Comme on peut le constater, la fourchette officielle a été établie en combinant les présentations w et e, et traitant le manuscrit (ou, à tout le moins les quatre feuillets analysés) comme parfaitement homogène ; or ses cent seize feuillets représentent nécessairement plus de dix peaux différentes, sans doute une quinzaine (en supposant que ckacune soit utilisée au maximum) ; ce lissage, cette moyenne relèvent donc de l'approximation. Ajoutons, par souci de rigueur, que les évaluations publiées sont assorties de la mention with a probability of 95% (autrement dit, ceux qui ont fourni ces chiffres considèrent qu'il reste une possibilité sur vingt pour que l'ensemble soit plus ou moins antérieur à 1404 ou plus ou moins postérieur à 1438, mais aussi pour que le feuillet daté comme le plus ancien soit antérieur à 1365 ou le feuillet daté comme le plus récent soit postérieur à 1497). On ne peut bien sûr que respecter et la prudence et les conclusions des chercheurs qui ont mené ce travail ; mais on peut aussi regretter de ne pas retrouver la même prudence dans l'usage qui a été fait de ces conclusions.
Et c'est ainsi qu'on peut lire des affirmations du genre de celle-ci (E. Kelly et J. Dee vivaient au XVIème siècle) :
(The VM has been dated to over a century before the time of Kelly and Dee, so was not their creation.)
(Le manuscrit Voynich a été daté de plus d'un siècle avant l'époque de Kelly et Dee, il n'était donc pas leur œuvre)
Erreur de raisonnement passablement inquiétante : la datation n'est pas celle du manuscrit, c'est celle du support ; elle est donc bien une preuve que le manuscrit n'a pas été rédigé au XIIIème ou XIVème siècle, mais n'est qu'un indice pour les siècles suivants.
Pour le reste, R. SantaColoma a réuni dans cette page [⇒] ainsi que dans celle-ci [⇒] (chercher notamment Franceschini) toute une collection de faits montrant qu'on arrive à trouver des feuillets de parchemins vieux de plusieurs siècles et pourtant vierges ; plutôt que de reprendre (ou même résumer) ces éléments, j'ai choisi une voie un peu différente : supposons un scribe ayant, dans les années 1410-1430, le projet de rédiger ou copier un livre de quelque deux cents pages ; il peut prendre une quinzaine de peaux ou une cinquantaine de feuilles ou encore un livre (vierge) de deux cents pages ; mais le plus commode paraît d'acheter des cahiers, composés de cinq ou six feuilles superposées, cousues en leur milieu puis pliées en deux ; une vingtaine de cahiers doit faire l'affaire. Là-dessus, notre scribe meurt, avant d'avoir commencé (ou juste après avoir entamé) son travail ; ses héritiers se retrouvent avec cette vingtaine de cahiers vierges, dont ils n'ont sans doute pas l'usage (au moins immédiat) ; mais (nous l'avons vu un peu plus haut), cette centaine de feuilles de parchemin représente quand même une certaine valeur, qu'il serait dommage de brûler avec les ordures ; les cahiers sont donc entreposés dans un coin, avec le reste de la bibliothèque du défunt ; et le temps passe ; quand on voit réapparaître en plein XXème ou XXIème siècle des tableaux oubliés depuis trois ou quatre cents ans au fin fond d'un grenier, peut-on s'étonner que quelque chose d'aussi banal que des feuilles de parchemin vides soit resté dans l'obscurité jusqu'à John Dee ou même Wilfrid Voynich ?
Il n'y a rien, bien évidemment, qui vienne étayer cette histoire ; mais rien non plus qui permette de la déclarer contraire aux lois de la nature.
Et là n'est pas la seule direction à questionner : si (en revenant à une situation et une formulation banales) œufs à vendre a un sens, en va-t-il de même devendre œufs à ? et de œf à vnr ? et àdeefnœrsuv (qui pourrait tout aussi bien parler de revenus à Fœd ou d'œuvre de fàns ) ? et Longtemps, je me suis couché de bonne fleur ? et je partirai hier ? Quand passe-t-on du texte clair au texte obscur ou bizarre et de celui-ci au texte dépourvu de sens ? La question reviendra, dans un contexte moins théorique, à propos de la formule de Vinchoy .
On trouve dans plusieurs travaux de recherches, formulé plus ou moins explicitement, le rêve d'un programme informatique capable de répondre aux questions précédentes, au termes de divers calculs. Ce rêve a pu avoir un commencement de réalisation avec l'analyse de la fréquence des lettres ou celle des motifs répétés (voir les diagrammes, un peu plus bas dans le texte) ; mais ce que l'on attendrait surtout, c'est un moyen de distinguer un texte chiffré d'un texte dépourvu de sens ; un seul exemple pour montrer la difficulté de l'entreprise : soit le message AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ; texte dépourvu de sens s'il en est ; entrons-le (miracle du copier-coller) dans la zone marquée Chiffré de cette page [⇒] d'un site de Didier Müller ; puis plaçons, dans la zone Clé : ANHSYMNIHSHGHSMNNWPPWOWNH et cliquons sur [Déchiffrer] ; on peut recommencer avec, comme clé, LSWJJWXAYWHVJANYSIZPANYTW ou bien YTSVVJWOWNHWDHJAMJXSNASJW. Tout est dans la clé (puisque l'on pourra ainsi déchiffrer la suite de A en n'importe quelle suite de vingt-cinq lettres ; simple rappel : il existe
236 773 830 007 967 588 876 795 164 938 469 376 solutions. Patience et longueur de temps…).
Or
• ce rapprochement entre voynichéen et hawaïen a la vie dure ; par exemple, sur le site des world-mysteries :Mais un tel procédé est-il envisageable sans ordinateur ? En théorie, il suffit d'un tableau à double entrée, le carré de Vigenère ; pour deux textes en latin sans ponctuation et sans majuscules (comme cela semble le cas pour MsV), ne distinguant pas i de j ni v de u, il faut 23 colonnes (correspondant aux lettres du texte à chiffrer) et autant de lignes (correspondant aux lettres de la clé), soit un peu plus de cinq cents cases, contenant chacune la lettre résultante qui sera lue au croisement de la colonne et de la ligne adéquates.
Travail colossal quand il doit être répété des dizaines de milliers de fois, sans doute surhumain – du moins pour un individu isolé ; mais imaginons un trio, avec Numéro 3 lisant à haute voix les deux lettres de même rang dans le texte et dans la clé, Numéro 2 cherchant dans le tableau la lettre correspondante à la croisée des deux et la lisant à son tour, Numéro 1 traçant le glyphe voynichéen ; le travail reste fastidieux – mais on peut produire une dizaine de lettres à la minute, soit moins de quatre cents heures pour l'ensemble du manuscrit. Trois obstacles, cependant :
Mais un processus intermédiaire ne peut pas être pour autant totalement exclu.
Avec une grille (ou un système de décompte des mots, ou n'importe quel autre procédé équivalent), je peux faire que seules les parties en rouge soient signifiantes :
Comme le vieux bistrot a changé de main, je pars en vacances dans le midi, le 5 ou le 6 du mois prochain : le bruit de la rue me fatigue, et le Var me changera de la Seine-Saint-Denis !